Delphine Ribere
L'ours et l'hippopotame
L’ours et l’Hippopotame
Un ours et un hippopotame s’étaient croisés sur une route d’Asie. Rencontre improbable de deux énormités de la nature. Chacun promenait son arrière-train imposant sur la route scabreuse où scooters et charrettes déboulaient de tous côtés.
Ayant perdu leur chemin, ils erraient, chacun à leur façon. L’ours en grommelant dans la barbe qu’il n’avait jamais eu. Malheureux de n’accéder à aucun pot de miel au pays des rizières. L’hippopotame, rigolant dans sa moustache tout aussi inexistante,. Joyeux de n’avoir toujours pas croisé d’éléphant qui lui en imposerait.
Chacun trimbalait le lourd poids de son existence sur une terre jusqu’ici inconnue. Traînant leurs larges pattes dans la poussière du chemin qui avait échappé au bitume du monde.
Comment ai-je pu me retrouver là, grommelait l’ours qui n’en revenait pas de sa défaite à se repérer dans un pays si étranger du sien.
Qui a bien pu me propulser sur cette route inconnue, potassait en boucle l’hippopotame, pas si triste de ce soudain manque de repères là où son pays ne lui paraissait plus que morne plaine.
J’ai chaud, grognait l’ours blanc plus si blanc dans sa fourrure épaisse.
Il fait doux , frissonnait joyeusement l’hippopotame, soulagé du soleil brûlant sur sa peau tannée.
On est tellement seul ici, pleurait à chaudes larmes l’ours blanc de moins en moins blanc sur la route jaune de poussière. Et ses larmes remplissaient les empreintes de chacun de ses pas, formant de larges baignoires pour les insectes du coin.
La liberté retrouvée, déclarait à tue-tête l’hippopotame, allégé du poids écrasant des éléphants d’Afrique qui laissaient peu de place aux autres animaux dans leur savane dont ils étaient devenus les immodestes propriétaires. Et ses pattes dansantes et maladroites faisaient exploser les flaques d’eau sur le sol, éclaboussant l’ours de ses propres larmes. Retour à l’envoyeur, tonitruait l’hippopotame peu atteint par le malheur que lui imposait son voisin de route.
Leurs pas lourdauds les menaient au même rythme sur la route sèche et cabossée. Ils avançaient de toute leur masse vers ce qui, au bout du chemin, leur restait invisible.
On n’y voit rien ici. Pas même l’ombre d’une patte où poser ma tête pleine de souvenirs, se lamentait l’ours jauni par la poussière incrustée dans ses poils.
Aucun ennemi à l’horizon, claironnait l’hippopotame sur la route des possibles.
Les deux mammifères marchaient côte à côte depuis plusieurs heures déjà quand le soleil tomba d’un seul coup au bout de la route. Les laissant seuls dans l’obscurité du lieu étranger auquel ils n’appartenaient pas encore.
J’ai peur, tremblait bruyamment l’ours blanc plus blanc du tout.
Je ne sais plus, s’éraillait la voix de l’hippopotame dont les petits yeux brillaient dans la nuit noire.
Sous le peu d’étoiles de la nuit asiatique, l’ours et l’hippopotame, chacun affublé du lourd bagage de leurs corps, continuaient leur marche dans le silence le plus grand que puissent faire deux animaux de leur envergure.
Poursuivant leur chemin de leurs pattes malhabiles, ils s’étaient petit à petit rapprochés. L’ours cherchant la chaleur auprès de l’hippopotame à la peau tannée. L’hippopotame cherchant la douceur du pelage de l’ours, jusqu’ici ignorée.
D’où viens-tu, susurra l’ours à la petite oreille gauche de l’hippopotame.
Je viens du pays le plus sec et le plus aride que le monde ait connu. Le pays où la loi de la jungle sévit. Un lieu sans concession où joie et guerre se côtoient tout le jour. Un lieu où l’on ne sait jamais sur quel pied danser. Mais un lieu où l’on continue à danser et à chanter pour conjurer les peurs.
Et toi, d’où viens-tu, demanda l’hippopotame à son compagnon de fortune.
Je viens du pays le plus glacial et le plus chaleureux que tu n’aies jamais connu. Un lieu où nous comptons les uns sur les autres pour résister à l’hiver sans fin. Un lieu où nous n’avons pas d’autre choix que de nous rapprocher les uns des autres pour survivre.
Et c’est patte dans la patte que l’ours et l’hippopotame poursuivirent leur chemin et leur conversation.
Et tes parents, ta famille, où sont-ils, que font-ils. Qui es-tu.
La posture n’était certes pas confortable. Un ours blanc plus blanc du tout et un hippopotame à la peau baignée des larmes d’un ours déambulaient cahin-caha sur un chemin d’Asie dont le bout n’était pas près d’advenir. Une absurdité de la nature. Une rencontre ironique sur le bord d’un chemin. Une incongruité des continents qui s’étaient pourtant bien séparés il y a des millions d’années.
De l’ironie de leur sort, de leur rencontre fantasque au pays où il ne fait ni trop froid ni trop chaud mais où la pluie peut s’abattre brutalement sur vos épaules, l’ours et l’hippopotame finirent par en rire quand l’aube pointa le bout de son nez.
Ils n’étaient pas au bout de leur chemin. Ils allaient continuer, à trois pattes chacun, la dernière dans celle de l’autre. Tantôt grommelant, tantôt riant, la peur de l’ours rognant parfois les certitudes de l’hippopotame. L’entêtement de l’hippopotame faisant parfois pleurer l’ours de solitude.
Le chemin ferait parfois mal aux pattes, trop chaud, trop froid, poussiéreux, encombré, magnifique, ensoleillé. Mais chacun s’approprierait le lieu nouveau sans songer à revenir à celui d’avant. Avant la route, avant la mousson, avant ce qu’un ours et un hippopotame n’auraient pu imaginer.
Avant la rencontre fortuite de deux poids lourds qui se mirent à courir patte dans la patte, allégés par l’inconnu de la route asiatique qui s’ouvrait devant eux.
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Published on e-Stories.org on 08/23/2018.